Reste la nuit
cette boule bleue que tu portais au coin des lèvres
nuit-fumée nuit des lilas-rafales et des seins-pendentifs
nuit trop cuite de nos villes barbeléennes
tu me montes à la tête
tu me dérobes d’autres nuits
la nuit des bouteilles brisées des nuits sans amour
à l’ombre des parfums royaux
et des filles inachevées que la lumière rouille d’angoisse.
Il me reste hélas l’incommensurable sommeil
qui se ballade dans mon corps
à tête rompue
nuit toujours à l’affût
si proche des soleils nomades
nuit remontée des varechs
jusqu’à mes yeux desséchés d’ingratitude
souviens-toi dans tes rêves déjà
mes rétines abritaient un nid de guêpes et d’ironie
le vent né de tes mains
mains dégantées dans le vitrail de l’amour
je vous sertis de plomb
mains presque mortes du désir de vivre.
Claude Haeffely, « Shoe-shine », Des nus et des pierres, Montréal, Déom, 1973.